1.2. LES Néviim (Les Prophètes)
Rav Yéhouda Ben Ychay
a. Introduction
La Bible (le Tanakh*) comprend trois parties: La Tora*, les Prophètes (Néviim*) et les Hagiographes (Kétouvim*). La Tora couvre la période qui va de la création du Monde à la mort de Moïse (Moché), "le Prophète", celui à propos duquel il est dit en conclusion "mais il n’a plus paru, en Israël, un Prophète tel que Moïse, avec qui D.ieu avait communiqué face à face" (Dévarim 34.10). Il y a donc bien ici, le témoignage que la grandeur de l’homme se signale par sa capacité d’être en contact avec D.ieu, et en cela personne n’a dépassé le "maître de la prophétie", Moïse.
La prophétie est une des caractéristiques les plus marquantes du peuple d’Israël.
Dans son livre, le Kuzari*, Rabbi Yéhouda Lévy met en évidence le fait qu’avec sa naissance, le peuple d’Israël va devenir le "porteur" de la parole divine dans le Monde. Une des graves questions qui a préoccupé l’humanité depuis toujours est de savoir si un lien de communication était possible entre le Créateur et Ses créatures. La réponse à cette question a été donnée par le phénomène de la prophétie (livre I ph 95).Ceci fait que la Bible, dans toutes ses composantes, est considérée, pratiquement par l’humanité toute entière, comme étant le "Livre" par excellence, parce que ce SEFER (livre) narre (en hébreu MESSAPER) le dialogue
de D.ieu avec l’homme.
C’est pourquoi, Israël, le peuple des prophètes, le peuple de la Bible, a depuis toujours été envié par tous ceux chez qui la prophétie n’était pas apparue.
La concurrence avec le judaïsme s’est toujours traduite par la tentative de faire apparaître des prophètes ailleurs qu’au sein du peuple d Israël et de sa Tora. Ces tentatives, évidemment, étaient vouées à l’échec, en raison des conditions requises par une prophétie authentique.
b. Historique et structure : La deuxième partie du Tanakh, que nous allons aborder ci-après, s’appelle Néviim. Elle couvre plus de neuf cent ans de prophéties, consignées fidèlement dans les vingt et un livres des Prophètes, et elle va jusqu’au début du deuxième Temple.
Chaque mot de ces livres donne accès à une dimension particulière : en apparence c’est un récit qui revêt souvent la forme d’une narration historique, en réalité c’est un message qui dépasse les contingences du temps et les conditions du moment.
Le Talmud enseigne que seules les prophéties nécessaires aux futures générations ont été consignées dans le Tanakh (traité Méguila p14a). Et Rachi dans son commentaire, rajoute que ce sont des prophéties dont on peut apprendre "réponse ou enseignement" pour les temps à venir. (La liste des cinquante cinq Prophètes qui répondent à ces critères figure ci-contre). Les livres des Néviim sont donc les livres des prophéties de tous temps et jusqu’à la fin des temps.
c. La prophétie
L’espace de la prophétie
L'espace de la prophétie est Erets Israël, car la parole de D.ieu se fait entendre sur la terre de D.ieu. Et même, lorsqu'en de rares occasions, cette parole se fait entendre hors de cette terre, c'est en sa faveur qu’elle se fait entendre, comme par exemple l'injonction donnée à Abraham de quitter sa terre pour aller vers "la terre que je te montrerai" (Bérèchite 12:1m Kuzari, livre II ph 14).
De façon générale, le paysage de la Bible est Erets-Israël, et c'est alors seulement, remise dans son contexte, que la prophétie est compréhensible et saisissable.
Nos Sages enseignent à propos du prophète Yé’hézkel (Ezéchiel) qu'il put continuer sa prophétie en Babylonie (après la destruction du premier Temple) parce qu'il l'avait déjà commencée en Erets-Israël. C'est ce qui lui donna la force de la prolonger même en exil (traité de Mo’ed Katane p 25 à propos du verset 1,3 de Yé’hézkel).
Petit à petit, avec ce départ, la prophétie finit par s'occulter, parce que disparaissent alors deux paramètres essentiels, conditions de son apparition:
- D’une part l'entité nationale du peuple. En effet, la prophétie est la faculté collective d’Israël, défini comme un peuple de prophètes. Le traité de «Péssa’him, en 66a», nous indique que « si aujourd'hui les Bnei Israël ne sont pas prophètes, en tout cas ils sont des fils de Prophètes». La dispersion parmi les autres nations a porté une atteinte grave à la stature nationale d'Israël, et donc à sa capacité de faire apparaître des prophètes.
- D’autre part l'espace de D.ieu à savoir la terre de la Bible. En effet, avec la possibilité de retour à l'époque de ‘Ezra et de Néhémia, s'ébauche la réapparition de la prophétie. Cyrus, roi de Perse donne aux Juifs la possibilité de monter en Israël et de reconstruire le Temple. Trois prophètes accompagnent ce retour: 'Hagaï, Zékharia (Zacharie) et Malakhi (Malachie). Malheureusement, seule une poignée d'exilés profitent de cette "aubaine divine". La majorité du peuple préfère les "douceurs de l'exil" et la prophétie finit par se "cacher la face".
Elle va céder la place à 2 dimensions qui vont apparaître en force chez les Sages d'Israël de la Michna et du Talmud:
La première, une connaissance parfaite de la Tora écrite et de la Tora Orale :
En effet , grâce à un esprit profond comme « l'abîme » , nos Sages vont nous restituer toutes les facettes de la Révélation divine, à travers la loi et le développement impressionnant de toutes les disciplines qui nous accompagnent jusqu'à nos jours : Halakha* et Agada*, Midrach* et Kabala*. Le Peuple va désormais être guidé par les Sages plutôt que par les Prophètes. (Baba Batra 12a).
La seconde, un esprit divin – Roua’h Hakodech - qui se cache dans l'esprit et le cœur des Sages. Cet esprit divin permet aux Sages reconnus comme tels par le peuple, de connaître cette vérité mais à un niveau plus restreint du fait de la disparition de la prophétie.
Les exemples de ce Roua’h Hakodech sont nombreux aussi bien dans le Talmud (Bérakhote 3a, Sota 48b), que dans des ouvrages plus tardifs (cf les remarques du Raabad sur le «Michné Tora» de Maimonide. Lois sur le Loulav chapitre 8 halakha 5).
Les conditions d’accès à la prophétie
Bien que la prophétie soit un phénomène propre à Israël, elle réclame une préparation morale et spirituelle particulière. Il s'agit d'abord d'être un homme extrêmement sage de Tora, qui a connaissance de tout ce qui a déjà été révélé. Cet homme doit faire preuve de qualités morales exceptionnelles qui sont essentiellement: modestie, maîtrise de soi, détachement de toute as servitude matérielle et capacité de purifier ses sens et son imagination (Maimonide, Hilkhote Yéssodè HaTora chap.7).
Ce sont ces niveaux de qualités morales et spirituelles qui vont déterminer les différents degrés de prophétie allant d'une révélation claire et évidente, celle de notre maître Moïse (Dévarim 34,10) qui n'a pas eu d'égal, jusqu'à des perceptions allusives donc très imagées que l'on trouve chez les derniers prophètes. C'est l'épurement des vertus qui fait disparaître les "voiles" qui séparent l'homme de la divinité. (Maimonide, les 8 Chapitres, Chapitre 7).
C'est seulement lorsque le Sage sera armé de toutes les qualités spirituelles et intellectuelles et de la plupart des vertus morales que sera alors aussi vérifiée sa capacité prophétique par la réalisation de ses dévoilements concernant le futur.
Par ces exigences, les faux prophètes ont toujours été démasqués et n'ont jamais pu tromper Israël à long terme.
La compréhension des prophéties transmises n'est pas aisée: le style est déroutant et le contenu souvent hermétique.
Selon Maimonide (Hilkhote Mélakhim 12,2), c'est par sa réalisation qu'une prophétie devient compréhensible et c'est pourquoi, bien que nous connaissions les grandes lignes de la Délivrance, personne n'est à même d'en connaître les modalités. Ceci laisse une large place aux efforts de l'homme et a sa liberté. Les prophètes ont signalé les buts, et l'homme par sa compréhension et ses actes décide du chemin à prendre.
d. Les Prophètes - La morale des Prophètes est la morale d'un peuple capable de faire rejoindre ciel et terre dans un même idéal. Elle n'a jamais été une morale théorique, vaporeuse et irréelle. Elle n’a jamais non plus désespéré de l'avenir du Monde et de l'avenir de l'Homme. C'est pourquoi tous les Prophètes ont traité de la Délivrance (de la Guéoula*).
Il n'y a pas de prophètes du Bien et d'autres du Mal, il n'y a pas de Prophètes spécialistes des foudres qui vont s'abattre sur les fauteurs, et d'autres qui auront le privilège de parler de la fin heureuse des repentants.
La Prophétie est la Révélation de la conduite de l'histoire par le Maître de l'histoire, de Sa Providence et de Ses interventions, mais tout est destiné à l’homme et Israël en est le réceptacle.
La Prophétie vient prouver que D.ieu veut de l'histoire de l'homme et que l'histoire de l'homme peut bien être l'histoire de D.ieu.
Les Prophètes ont évolué dans un peuple où la prophétie est un état naturel.
La Révélation du Sinaï est avant tout une révélation prophétique qui a concerné tout Israël. C'est donc de par sa qualité d'appartenance à ce peuple, que les Prophètes ont été Ses prophètes. C’est la dimension d’Israël à priori.
Les prophètes parlent de morale parce qu'ils étaient eux-mêmes des exemples de vertu. Leur sagesse était immense et avant d'être prophètes, ils étaient des maîtres. La prophétie ne vient pas remplacer la Sagesse, car la Sagesse en est sa condition.
Le Prophète est avant tout un émissaire du message divin, parce que fidèle à lui, et qu'il est susceptible d'en assurer la responsabilité. La fidélité du Prophète à la volonté divine le rend digne de révéler cette même volonté. C’est pourquoi les Néviim sont la deuxième partie de la Bible, après la Tora.
e. Haftara.
Lecture de la Haftara
Chaque Samedi se fait la lecture en public de la Tora, dans un Séfer Tora. Sept hommes sont invités à cette lecture. Mais après la lecture de la Tora, arrive la lecture de le la Haftara, par le Maftir, c'est à dire la lecture d'au moins 21 versets des Prophètes. Le contexte de ces versets est en rapport avec le contenu de la Paracha, en toute clarté ou par allusion. Il y a aussi des Haftarote prévues pour «Roch Hodech» et les différentes fêtes.
Celui qui lit la Haftara doit d’abord relire, à titre de transition, quelques versets de la Paracha. Après l’idéal divin révélé par Moïse, la Haftara nous fait rencontrer la réalité: les remontrances ou les consolations des Prophètes, les événements déjà survenus dans l'histoire d'Israël ou les événements à venir. Les prophètes sont le livre ouvert de la vie de ce peuple dans le passé, le présent et le futur.
Grâce aux Prophètes, le peuple Juif n'a jamais perdu sa qualité d'être l’adresse de la parole de D.ieu, qui à travers lui, la filtre pour l'humanité toute entière, afin de permettre la rencontre du Créateur avec sa Création.
Origine de la Haftara
Plusieurs opinions ont été données sur les origines de la lecture de la Haftara:
a/ maintenir la connaissance des prophètes et de la prophétie chez le peuple même après sa dispersion.
b/ à une certaine époque un décret avait interdit la lecture de la Tora en public et la lecture de la Haftara l'a remplacée grâce à des versets dont le contenu faisait allusion au sujet de la Paracha de la Tora.
c/ c'est ‘Ezra, dont on dit qu'il était le prophète Malakhi(Malachie), qui instaura la lecture publique de la Haftara et ce dans le but évoqué précédemment (cf Encyclopédie Talmudique tome 10).
C'est ‘Ezra d’ailleurs qui, avec les Sages de la Grande Assemblée*, va donner au Tanakh*, sa forme définitive et donc décider du canon biblique. Désormais le Tanakh, va être le bagage prophétique d'Israël et ce jusqu'à la Guéoula* - la Délivrance, temps prévu pour la résurgence de la dimension prophétique, avec le prophète Eliyaou (Elie), comme prévu dans les derniers versets de la prophétie entendue (fin du livre de Malakhi).
f. Les Néviim dans le ‘Hok-Lé-Israël
Les auteurs du ‘Hok-lé-Israël ont prévu pour chaque jour du dimanche à jeudi la lecture et l’étude d’un extrait de 4 à 6 versets tirés de la Haftara de la semaine.
Il y a donc là une possibilité de s’engager dans un processus progressif de compréhension des textes des Néviim qui méritent d’être un peu plus « travaillés » qu’on ne le fait généralement.
Rav Yéhouda Ben Ychay
Rav de la Communauté « Emouna Chéléma Birouchalayim » |